Vengeance ! on égorge nos frères !...
(Le peuple de Paris promenant les cadavres aux flambeaux, nuit du 23 au 24 Février. [1])
(Le peuple de Paris promenant les cadavres aux flambeaux, nuit du 23 au 24 Février. [1])
La Justice Sudesque, cette Lucrèce Borgia américaine, après avoir abreuvé d’insultes les insurgés de Harper’s Ferry [2],
leur avoir, dans ses geôles et ses tribunaux, fait boire le calice
jusqu’à la lie, vient de les conduire en trois tombereaux au gibet. Les
tombereaux portaient avec chacun des condamnés son cercueil vide,
délicate prévenance, charité toute chrétienne envers des gens qu’on mène
à l’égorgeoir !... John Brown a été pendu le 2 Décembre... quelle
date !... courtisanerie sans doute du Bonaparte de la Virginie [3] envers le Wise
des Tuileries. Les quatre autres ont subi la peine capitale le 16, deux
avant midi et deux après midi. Le lieu choisi pour l’exécution était
hérissé de baïonnettes ; les canons, gueule béante, étaient braqués à
tous les coins. On avait éloigné, à l’aide de toutes les brutalités de
l’arbitraire, les voyageurs et citoyens des autres parties de l’Union
suspecté de sympathie pour la grande victime. Défense formelle avait été
faite aux journalistes d’approcher du nouveau Calvaire, car on ne
voulait pas que les dernières paroles de ce juste fussent recueillies
par la presse. Enfin, la chevaleresque Virginie avait
rigoureusement expulsé de son territoire tout ce qui avait l’apparence
d’une protestation contre l’attentat prémédité. Les égorgeurs ne se
sentaient pas à l’aise, même à l’ombre des baïonnettes et des canons. Si
le soleil avait pu se proscrire, ils auraient proscrit le soleil !
Faute de mieux, il a fallu se contenter d’enclore la place du supplice
d’une double muraille d’airain. Mais les murs ont des oreilles ; mais le
soleil, en éclairent de ses rayons la face des bourreaux et le cadavre
du supplicié, en a daguerréotypé au loin dans le peuple, et à des
millions d’exemplaires, la sombre et émouvante image... le huis-clos
pour de pareils crimes n’est guère possible. Il y a toujours dans
quelque recoin ignoré du criminel une pierre disjointe par où la regard
public peut plonger du dehors, un volet mal fermé par où peut s’échapper
le râle qu’on étrangle, râle qui, se répercutant de chacun à chacun, se
transforme en cri et devient clameur immense : A l’assassin ! à
l’assassin ! ! à l’assassin ! ! !... A la troisième fois les morts
ressuscitent dans des milliers de têtes et des milliers de bras. Il
s’exhale de la chair des égorgés comme une épidémie de vengeance qui
grandit de proche en proche... Malheur, alors, à ceux qui ont mis le
doigt entre l’arbre et la corde ! malheur à qui en a tenu le bout !...
Il n’y a pas qu’à la potence légale qu’on accroche les vaincus...
demandez plutôt à l’histoire... il y a aussi la lanterne ! !...
John Brown est mort comme il a vécu, en vaillant ; il a refusé tout contact avec les ministres de Dieu, aussi bien sur l’échafaud que dans la prison. Ce qu’il eut désiré, et ce qui lui a été refusé comme tout le reste, c’eut été d’avoir pour consolateurs, dans le trajet de la prison au gibet, quelques jeunes enfants esclaves avec leur bonne vieille négresse de mère... touchante pensée du brave et doux apôtre qui vous émeut jusqu’aux larmes... Ah ! avec combien plus de droits que ce fat d’André Chénier, il pouvait s’écrier, lui, en mourant et se frappent le cœur : “ Et pourtant il y avait quelque chose là !... ”
Après avoir franchi avec calme et vigueur les degrés de la plateforme où se dressait l’arbre de mort, il manifesta le regret de ne voir autour de lui et à portée de sa voix que des soldats ; il aurait voulu confesser une dernière fois encore devant les hommes son amour de l’Humanité. Tout ce qu’il put dire ce fut cette seule parole à l’adresse de ses bourreaux : AU REVOIR ! !... parole foudroyante et qui a dû retentir à leur oreille comme à l’oreille de Philippe-le-Bel le terrible adieu de Jacques Molay. Ensuite le sheriff lui lia les bras, lui enfonça le bonnet sur la figure, le fit avancer sur la trappe, lui passa la corde au cou, et... un roulement de tambours se fît entendre, non le dernier signal, main, au contraire, l’ordre de suspendre un moment l’exécution. Et pendant quinze minutes au moins les troupes manœuvrèrent sur la place, croisant la baïonnette et marchant au pas de charge, simulant une défense contre une attaque imaginaire... et pendant ces quinze lentes minutes John Brown, les bras liés au corps, le bonnet sur le visage, la trappe sous les pieds, la corde au cou... attendait, impassible et en silence et sans que son calme et da fermeté se démentissent un instant, que ses tourmenteurs voulussent bien faire cesser son agonie, que le tigre eût fini de jouer avec sa proie !
Comprend-on rien de plus atroce ? Se fait-on une idée d’un pareil raffinement de cruauté ? — Ces gens-là en remontreraient aux tortionnaires de la Sainte-Inquisition !
Soit pitié ou ironie, le bourreau subalterne demanda au patient s’il était fatigue. “ Non, répondit John Brown, seulement qu’on ne me tienne pas là plus longtemps qu’il ne faut. ”
Les quinze horribles minutes écoulées, on lança enfin l’intrépide abolitio[n]iste, corps et pensée, dans l’espace... Et tout est dit, pensent, sous leur carapace blanche, les planteurs à entrailles de caïmans, les féroces esclavagistes du Sud. — Non, tout n’est pas dit ! car “ contre le crime la revendication est éternelle. ” Non, tout n’est pas dit ! car en chacun de nous, ses fils ou ses frères, revit une parcelle de John Brown, l’insurrecteur martyr, parcelle qui est la semence d’une révolutionnaire moisson. Non, tout n’est pas dit ! car nous aussi, tous tant que nous sommes, abolitio[n]istes ou socialistes de tout épiderme, et qui avons de loin, hélas ! assisté, les poings crispés et la poitrine haletante, à l’affreux spectacle de son supplice ; nous qui savons que les jours comme les flots sont changeante, nous avons ramassé et nous vous relançons à vous tous, ses assassins, ce mot tombé, avec ses dernières vibrations, des lèvres de l’assassiné — AU REVOIR !!!.....
Joseph Déjacque,
Le Libertaire N°20, 24 Décembre 1859
John Brown est mort comme il a vécu, en vaillant ; il a refusé tout contact avec les ministres de Dieu, aussi bien sur l’échafaud que dans la prison. Ce qu’il eut désiré, et ce qui lui a été refusé comme tout le reste, c’eut été d’avoir pour consolateurs, dans le trajet de la prison au gibet, quelques jeunes enfants esclaves avec leur bonne vieille négresse de mère... touchante pensée du brave et doux apôtre qui vous émeut jusqu’aux larmes... Ah ! avec combien plus de droits que ce fat d’André Chénier, il pouvait s’écrier, lui, en mourant et se frappent le cœur : “ Et pourtant il y avait quelque chose là !... ”
Après avoir franchi avec calme et vigueur les degrés de la plateforme où se dressait l’arbre de mort, il manifesta le regret de ne voir autour de lui et à portée de sa voix que des soldats ; il aurait voulu confesser une dernière fois encore devant les hommes son amour de l’Humanité. Tout ce qu’il put dire ce fut cette seule parole à l’adresse de ses bourreaux : AU REVOIR ! !... parole foudroyante et qui a dû retentir à leur oreille comme à l’oreille de Philippe-le-Bel le terrible adieu de Jacques Molay. Ensuite le sheriff lui lia les bras, lui enfonça le bonnet sur la figure, le fit avancer sur la trappe, lui passa la corde au cou, et... un roulement de tambours se fît entendre, non le dernier signal, main, au contraire, l’ordre de suspendre un moment l’exécution. Et pendant quinze minutes au moins les troupes manœuvrèrent sur la place, croisant la baïonnette et marchant au pas de charge, simulant une défense contre une attaque imaginaire... et pendant ces quinze lentes minutes John Brown, les bras liés au corps, le bonnet sur le visage, la trappe sous les pieds, la corde au cou... attendait, impassible et en silence et sans que son calme et da fermeté se démentissent un instant, que ses tourmenteurs voulussent bien faire cesser son agonie, que le tigre eût fini de jouer avec sa proie !
Comprend-on rien de plus atroce ? Se fait-on une idée d’un pareil raffinement de cruauté ? — Ces gens-là en remontreraient aux tortionnaires de la Sainte-Inquisition !
Soit pitié ou ironie, le bourreau subalterne demanda au patient s’il était fatigue. “ Non, répondit John Brown, seulement qu’on ne me tienne pas là plus longtemps qu’il ne faut. ”
Les quinze horribles minutes écoulées, on lança enfin l’intrépide abolitio[n]iste, corps et pensée, dans l’espace... Et tout est dit, pensent, sous leur carapace blanche, les planteurs à entrailles de caïmans, les féroces esclavagistes du Sud. — Non, tout n’est pas dit ! car “ contre le crime la revendication est éternelle. ” Non, tout n’est pas dit ! car en chacun de nous, ses fils ou ses frères, revit une parcelle de John Brown, l’insurrecteur martyr, parcelle qui est la semence d’une révolutionnaire moisson. Non, tout n’est pas dit ! car nous aussi, tous tant que nous sommes, abolitio[n]istes ou socialistes de tout épiderme, et qui avons de loin, hélas ! assisté, les poings crispés et la poitrine haletante, à l’affreux spectacle de son supplice ; nous qui savons que les jours comme les flots sont changeante, nous avons ramassé et nous vous relançons à vous tous, ses assassins, ce mot tombé, avec ses dernières vibrations, des lèvres de l’assassiné — AU REVOIR !!!.....
Joseph Déjacque,
Le Libertaire N°20, 24 Décembre 1859
Notes
[1] Durant la révolution de février 1848.[2] Sur la tentative de John Brown, voir l’article La guerre servile dans le numéro 18 du Libertaire.
[3] Homme politique sudiste de l’État de Virginie. S’il devient Bonaparte, alors Napoléon III devient Wise.
http://www.non-fides.fr/?Prologue-d-une-Revolution-Les
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