lunedì 12 marzo 2012

« Clore définitivement la partie contre le fascisme, mais à notre façon » Par Belgrado Pedrini


Le 25 avril 1945, à la chute définitive du régime, une extrême allégresse s’est déchaînée dans toutes les formations de partisans parmi ceux qui avaient d’abord mal supporté le fascisme, et qui avaient ensuite risqué leur vie pendant des années sur les montagnes : l’euphorie de ceux qui avaient eu raison de l’ennemi.



Certes, la révolte armée avait créé une situation résolument différente, pour autant à nous anarchistes, la nouvelle période ne nous apparaissait pas comme le paradis sur terre. On peut dire qu’on était passé d’une situation monopartidaire dictatoriale à une autre, plus libérale, qui admettait plusieurs partis au gouvernement. On était passé d’une forme de capitalisme autarcique à une forme de capitalisme international. L’idéologie propagée par le nouveau régime, entre autres par les partis, était décidément cléricale —au sens le plus moyenâgeux du terme.

Le lecteur peut imaginer quel genre de réflexions ont pu faire mes proches et mes compagnons sur cette situation. Je n’exagère pas en disant que les catholiques, à Carrare et dans sa province, ont toujours été une minorité ethnique en voie d’extinction, et qu’on n’a jamais aimé ni pu supporter les prêtres. Cette nouvelle réalité démocratico-cléricale, outre la présence des Américains à la maison, détonnait, ne nous enchantait pas, ne nous plaisait guère.

Nous, anarchistes, avons de toute façon commencé à nous organiser dès le 26 avril : nous avons formé des groupes et réorganisé la Fédération Anarchiste Italienne. Nous sommes passés de la clandestinité à une forme de propagande et de lutte typiques d’un régime à libertés formelles garanties. A partir du 26 avril, avec d’autres compagnons, nous avons décidé de clore définitivement la partie contre le fascisme, mais à notre façon. En fait, après avoir chassé les Allemands, je n’avais nullement l’intention d’oublier tout le reste. Que la révolution se fasse ou non, je ferai la mienne. Je ferai payer aux tyrans, aux affameurs, aux propriétaires, toute la faim, la misère et la désespérance du fascisme. Je voulais les persécuter comme eux nous avaient persécutés. Ma vengeance aurait été mon pardon. Mais les nouveaux patrons n’étaient pas de cet avis : Pietro Nenni par exemple [1], commissaire aux épurations, ne s’en est pas pris aux gros poissons, aux requins. Il a préféré frapper les jeunes, les sympathisants de village, quelques pauvres crétins qui comptaient pour du beurre. Grâce à cette manœuvre, l’Etat italien se retrouva avec une magistrature et une police à nouveau pleines de cadres fascistes. Le procureur de Gênes savait par exemple très bien que nous, les victimes du fascisme, n’aurions pas pardonné si facilement et si catholiquement aux fascistes et à leurs souteneurs. J’imagine que ce même procureur, rien qu’en lisant mon dossier, avait compris à quel individu il avait à faire. C’est pour cela que j’ai ensuite passé 32 années en prison. Mon crime : avoir lutté contre le fascisme et l’avoir « vaincu ».

J’ai été arrêté par les policiers de la République bourgeoise née de la Résistance au cours d’un guet-apens, en mai 1945 à La Spezia, où j’étais en train de débusquer des fascistes que personne n’avait envie de dénicher. J’étais seul dans l’embuscade qui me fut tendue, mais des compagnons comme Giovanni Zava, qui avaient fait la résistance à Serravezza et dans la région de Pistoia, furent faits prisonniers presque en même temps pour les mêmes raisons. On nous accusait d’avoir participé à la fusillade de 1942, au cours de laquelle un policier avait été tué.

Belgrado Pedrini.


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[Chapitre 6 : L’immédiat après-guerre, extrait de « Nous fûmes les rebelles, nous fûmes les brigands... » de Belgrado Pedrini, éd. Mutines Séditions, 144 p., novembre 2005, pp. 61-63]

http://mutineseditions.free.fr/


Extrait de la brochure L’Anarchisme contre l’antifascisme.

http://www.non-fides.fr/spip.php?article385


Notes
[1] Pietro Nenni (1891-1981) : Inscrit au Parti socialiste à partir de 1921, il en devient rapidement l’un des dirigeants, devenant rédacteur en chef du journal Avanti !. Il se réfugie en France à l’automne 1926 et promeut un grand parti réformiste italien qui aboutit au Congrès de Paris de 1930, réunifiant les tendances non-communistes. Par la suite partisan d’un front uni avec ces derniers, il signe un « pacte d’unité d’action » en 1934 qui tiendra jusqu’à la fin de la guerre, malgré le pacte germano-soviétique de 1939. Siégeant pour les socialistes dans le Comité de Libération Nationale (CLN), il devient vice-président du Conseil et ministre chargé de la Constitution de juin 1945 à juillet 1946 (gouvernements de gauche Parri, puis de droite De Gasperi), puis ministre des affaires étrangères jusqu’en janvier 1947 (second gouvernement De Gasperi). Il fut aussi Haut Commissaire chargé de l’épuration, de juin 1945 à la suppression de ce poste en février 1946, et rédacteur de la loi (en fait un décret entré en vigueur le 14 novembre 1945) qui porte son nom. Elle eu pour effet de diminuer considérablement l’épuration en cours, confiant par exemple aux administrations publiques la charge de s’épurer elles-mêmes, malgré leurs 23 années de bons et loyaux services passées au service du fascisme.
Sur ses fonctions de « grand épurateur », voir Hans Woller, I conti con il fascismo. L’epurazione in Italia (1943-1948), il Mulino (Bologne), 1997, pp. 437-511

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