martedì 13 marzo 2012
Briser ses liens. Notes concernant la prison et les diverses instructions « anti-terroristes » en cours
Briser ses liens. Notes concernant la prison et les diverses instructions « anti-terroristes » en cours
Enfermement et contrôle social
« Lorsque chacun rêve à la mort de l’État, l’État rêve à la mort de tous. » — Nada.
Ces notions semblent difficile à définir. Quand on parle d’enfermement, on pense habituellement à la séquestration, au fait d’être retenu, détenu ou enfermé dans un lieu. On pense aussi à la prison, évidemment. On pense à ses formes les plus spectaculaires dans l’histoire du XXe siècle : les complexes pénitentiaires industriels à l’américaine, les camps de détention ou de concentration, le système du goulag. Bref, a priori, lorsqu’on pense le contrôle social, on imagine d’abord un « dedans », avec la prison ou tout lieu où on peut être privé de liberté (hôpitaux psychiatriques, centres de rétention) et en dehors où il y aurait, paraît-il, un certain nombre de libertés reconnues (au moins dans l’esprit du droit) et des faits que la loi, la morale ou l’État considèrent et sanctionnent plus ou moins arbitrairement comme des crimes et des manquements, et qui peuvent conduire à l’enfermement ou au moins à un certain contrôle qui rime toujours avec menace et coercition. De là à considérer que là où il y a pouvoir, il a contrôle social, il n’y a qu’un pas qu’il peut sembler déraisonnable de ne pas franchir.
Et qu’est-ce au juste, que le contrôle : une coercition constante qui veille sur les processus de l’activité (ou sur l’activité elle-même) des individus et quadrille au plus près le temps, l’espace, et les mouvements de ces derniers. Tout ce qui autorise le contrôle minutieux des opérations du corps. Ce contrôle s’est exprimé depuis le XVIIIe siècle sous les formes générales de l’autorité et de la domination dans les casernes, les écoles, les usines ou les prisons. Il faut pour cela :
• La répartition des individus dans l’espace selon un principe de clôture (c’est le principe de l’enfermement qui est déjà commun à la rationalité de l’entreprise capitaliste comme à celle de la prison au moins depuis l’enclosure).
• L’assignation des masses mouvantes dans des endroits cernés (chacun sa place et son rang) : on peut penser aux métros, aux RER, aux galeries marchandes et les prix selon la ville, à la répartition géographique des quartiers et le déplacement rendus difficiles d’un quartier à l’autre et plus facile mais aussi plus onéreux vers le centre des villes ou de la ville vers la périphérie, etc.
• Le contrôle de l’activité (emplois du temps rationalisés. Le travail est rendu obligatoire (à l’école, en prison, dans la société en général). Par une pédagogie du mouvement, par la notation et le classement, par la surveillance hiérarchique, la société disciplinaire individualise la masse anonyme. Elle sépare. Elle atomise. Là où il y avait autre fois de la communauté ou de la société, il y a de « l’individu » comme base, comme produit fini, comme entité séparée, ou comme fragment et non comme sujet. La société s’est divisée à la fois en classes et en « individus » qui ne se retrouvent sensiblement plus ni dans l’humanité, ni même dans une condition sociale mais comme unités de leurs propres survies forcées de se prendre elles-mêmes comme autant de centres.
Non content d’un tel constat, il faut en conclure que la prison n’est pas tant un lieu qu’une fonction. Ce n’est pas tant un territoire spécifique qu’un moment où l’on se retrouve plus dépossédé encore qu’à l’habitude dans une société d’exploitation : de ses mouvements, de ses paroles, de son activité, de ses pensées, etc. Tout cela, tout le monde le sait ou le ressent, et c’est pour cela que la prison (le centre pénitencier ou quoi que ce soit qui s’y apparente) est une épée de Damoclès au dessus de la tête de ceux et celles qui se croient encore libres. Mais précisément, elle ne suffit pas à décrire ou même à définir l’enferment ou le contrôle. En fait, elle tend même à s’effacer avec le progrès technique devant la myriade d’autres méthodes de contrôle et de surveillance qui se développent pour remplir plus parfaitement et plus rationnellement encore qu’autre fois sa fonction. En effet, et principalement pour une question d’économie (même si l’essentiel des politiques, pour des contradictions liées à l’époque, en particulier en France, y préféreront encore longtemps « la bonne vieille prison »), des moyens de plus en plus modernes (et aussi plus coercitifs) se développent (tels que le bracelet électronique, les différentes formes de contrôle judiciaire, la signalisation génétique systématique — prélèvement ADN —, le simple fait de repousser un procès sur 4 ou 5 ans avec tout ce que ça implique, mais aussi au quotidien les caméras de surveillance, la présence policière permanente, et ses annexes — vigiles et milices de quartier) qui même dans le cadre d’une démocratie pourraient rendre, si ils étaient pleinement appliqués, la prison quasiment obsolète.
Parce que tout ce qui caractérisait autre fois la prison dans ce qu’elle a de plus essentiel s’est peu à peu appliqué et généralisé à la société : la clôture donc (à la base les entreprises et les champs, puis pour les gares, les lycées, les universités, les hôpitaux et plus particulièrement psychiatriques, les centres fermés pour mineurs, etc.), la restriction des mouvements dans un cadre géographique strict, l’individualisme de survie et l’esprit de la discipline, le clanisme (la culture du clan tant dans la politique, et l’entreprise que dans la sous-culture urbaine financée par l’industrie culturelle) qui renforce toutes les hiérarchies, le contrôle permanent des mouvements et des activités, et bien sûr la sanction (les heures de colle ou les rapports et suppression de bourse dans l’éducation, les avertissements et les retenues sur salaire, les suppressions d’allocations sociales, etc.). Tenter d’appréhender la réalité du contrôle social et de l’enfermement (de la prison à la surveillance en général — qu’elle soit individualisée ou diffuse) en termes « d’infra- » ou de « super-structure » limite en fin de compte l’analyse à un postulat, celui que sous-tend la métaphore « verticale » : à savoir qu’il y aurait une base et des fondations sur lesquelles quelque chose de « plus important » repose. Si cette vision des choses recouvre une partie de la réalité sur des cas particuliers, les structures du pouvoir se montrent en général plus complexes et surtout inter-actives. Pour l’exemple, on peut dire que la société de classe et l’État (aussi bien qu’un certain nombre d’oppressions connexes) reposent sur la prison. Mais cela n’aurait pas moins de sens de dire qu’il n’y aurait probablement pas de prison sans société de classe et surtout sans État. En réalité, il s’agit de démontrer en quoi l’existence de ces phénomènes historiques sont liés.
La prison est politique
« Il s’agit de dialectique — comme le dirait Hegel, qui en raison d’État s’y connaissait — entre victoire partielle et capitulation totale. Que ceux qui ne respectent pas cet esclavage nommé démocratie y soient préparés. » — In « La quadrature du cercle ou la raison d’État » par La conjuration des égaux, juin 2000.
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